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jeudi 14 juillet 2016

Le bonheur d'être rouge

Je ne suis pas communiste, loin s’en faut. Je ne peux cependant me départir d’une sorte de tendresse vis-à-vis de certains d’entre eux.

J’entends déjà pousser de hauts cris. Ne venez pas me rappeler les crimes staliniens, ceux des autres dirigeants de l’URSS ni ceux d’autres régimes communistes. Ne prenez pas cette peine, je ne vous les contesterai pas.

Ne cherchez pas non plus à me convaincre de l’échec prévisible de toute économie planifiée, ni du caractère incontournable de l’économie de marché : ceux qui me lisent m’ont vu en faire plus d’une fois la démonstration.

Ce n’est pas de cela dont je vais vous parler. Je vais commencer par une part affective, qu’il m’est impossible de renier. Celle d’un grand-père communiste qui, par conviction de la valeur de la connaissance, mettait toutes ses dernières énergies à m’apprendre à lire le plus tôt possible, me léguant un bagage inestimable.

Parmi ceux de sa génération, lors des premières années de la révolution russe et particulièrement pendant la période de la NEP, il y eut des hommes de conviction et hommes de bien, ayant une véritable éthique de l’accès au savoir pour le plus grand nombre. Ces communistes des premiers jours furent le plus souvent les victimes privilégiées des purges staliniennes.


L’on peut également citer le remarquable écrivain Vassili Grossman : correspondant de guerre, il était un soviétique convaincu, mais dépeignait dans ses récits de la seconde guerre mondiale une vision réaliste des soldats et officiers de l’armée rouge : nulle hagiographie, un récit de leurs peurs, parfois des mesquineries et intrigues entre officiers, aussi de leur grandeur et de leur courage. 


Grossman était profondément aimé des soldats de l’armée rouge, car tout en les honorant, il ne mentait pas sur la réalité de la guerre et des hommes. Il n’y a rien de pire pour un soldat plongé dans la boue physique et morale de la guerre que d’y rajouter l’indécence du mensonge. Le chant du courage et de l’honneur perd toute valeur s’il est celui de la propagande, quand il faut montrer que la grandeur a émergé malgré la saleté et la bassesse.

Plus tard, Vassili Grossman écrivit au péril de sa vie des pages lapidaires contre les agissements de Staline, purges, famines organisées. Seule sa très grande popularité auprès des soldats, du fait de l’honnêteté de ses récits de guerre, empêcha le régime de le faire disparaître. Il vécut une traversée du désert émaillée de menaces ne lui laissant pas une minute de tranquillité. Grossman était et restait un communiste convaincu : sa personnalité et sa vie incarnent le paradoxe que je ressens moi-même vis-à-vis du communisme et de ceux qui y croient.


Si je ne suis pas communiste, une allocution de Pierre Gattaz me donne une irrésistible envie d’entonner le Гимн Советского Союза à pleins poumons, de revêtir un uniforme de l’armée soviétique, lui crier le fameux « ura ! » pour finir par lui botter les fesses.

Le plus beau est que c’est au nom de l’esprit d’entreprise - le véritable - que je le ferais. Il faut sortir ici des stéréotypes. S’il ne faut montrer aucune complaisance vis-à-vis des crimes du pouvoir soviétique, qu’un pays constitué en grande partie de moujiks sous-éduqués parvienne à envoyer le premier homme dans l’espace soixante années plus tard est un fait qui doit nous interroger.

Un Sergueï Korolev, père fondateur de l’aéronautique soviétique, était mille fois plus un entrepreneur que ne le pourra jamais être un Pierre Gattaz. Il y a dans tout bureau d’études, toute usine, toute industrie, un côté soviétique. Un alliage d’esprit de bâtisseur, de positivisme scientifique, d’espoir dans les constructions humaines et dans leur coopération, qui est à mille lieux de l’avidité du profit et des intrigues politiques.

Contrairement aux stéréotypes, c’est cet état d’esprit qui est garant de l’efficacité et de l’envie d’entreprendre. Le communisme est le meilleur mode d’organisation à petite échelle, celui des structures de quelques centaines de personnes. L’échec des économies planifiées apparaît lorsque l’on franchit le seuil d’une population de quelques milliers d’individus : là les mécanismes d’auto-organisation, c’est-à-dire la main invisible, deviennent indispensables sans pour autant constituer l’alpha et l’oméga de l’économie.

Douglas Hofstadter dans son célèbre « Gödel, Escher, Bach » avait émis l’idée audacieuse que le clivage entre libéralisme et communisme n’était qu’une question d’échelle à laquelle on observe les populations. Une société bien réglée est communiste micro-économiquement et libérale macro-économiquement.

La mise en concurrence interne des équipes au sein d’une entreprise est – pour cette raison – d’une rare stupidité. Elle aboutit à des résultats et un gâchis désastreux. Par dogmatisme néo-libéral, certains dirigeants entretiennent une concurrence féroce entre leurs équipes, partant du principe que « la concurrence est toujours bonne », dans tous les contextes et tous les domaines d’application.

C’est ignorer que les bénéfices de la concurrence n’apparaissent qu’à grande échelle, c’est-à-dire entre les sociétés. En interne de l’entreprise, il faut avoir plutôt la mentalité sportive de l’équipe soudée semblable à la mêlée de rugby. La mise en concurrence interne ne sélectionne pas les meilleurs mais les plus roublards et les plus communicants. Par ailleurs, elle interdit les réalisations de long terme, celles qui portent la valeur et la différenciation de l’entreprise, les jeux de pouvoir ne laissant pas le loisir de conceptions profondes.


Un homme très à droite - et très sage - a dit un jour : « le défaut atavique de la gauche c’est l’assistanat, le défaut atavique de la droite c’est la rente », n’oubliant pas d’épingler son propre camp, signe des esprits supérieurs.

Par sa formule brillamment synthétique, il montrait que nos pires ennemis sont toutes les formes de parasitisme, celles qui empêchent l’homme de montrer la noblesse de se rendre utile. Il ne faut pas se laisser berner par le discours de tous ces faussaires appelant à l’esprit d’entreprise, quand eux-mêmes ne font qu’en parasiter les fruits au lieu de les faire pousser.

Pierre Gattaz avait vilipendé la CGT et l’ensemble de ceux qui s’opposent à lui, en faisant la leçon sur l’esprit de la Silicon Valley et de la moderne Shangaï. Lui serait-il venu à l’idée que la Silicon Valley ou Shangaï ne voudraient en aucun cas de quelqu’un comme lui ? Qu’un Korolev est infiniment plus proche de ces exemples entrepreneuriaux que ne le sont les conseils d’administration et comités exécutifs constitués de parasites baignant dans leur ennui, leurs jetons de présence, leurs phrases convenues, leurs jeux territoriaux dérisoires, leur illusionnisme d’imposteurs ?

La Silicon Valley et Shangaï n’aiment pas les parasites, l’URSS ne les aimait pas non plus. Et si des tire-au-flanc existent dans toutes les administrations, que les parasites de haut-vol qui captent la valeur des autres dans les conseils d’administration et les comités exécutifs ne s’étonnent pas de voir leurs équipes bâtir leurs propres forteresses.

Il faut toujours un peu de communisme en soi pour être pionnier. Le modèle de celui qui privilégie la construction et l’entraide sur les intrigues et l’égoïsme territorial, le positivisme de l'amour gratuit de la connaissance et de l'exploration.

Le communisme garde une grande utilité non pour bâtir une société – cela je n’y crois plus – mais comme un état d’esprit que l’on garde en soi. Tout comme l’on dit qu’il faut savoir garder au fond de soi l’esprit d’enfance au long de sa vie, sans pour autant se comporter comme un enfant. 

Le communisme ne pourra jamais advenir mais il ne doit jamais complètement disparaître, car si ce jour venait, le monde s’effondrerait sous le poids de son propre cynisme.

Le chanteur Jean Guidoni a décrit de la plus belle des façons les sentiments mêlés que je ressens à l’égard du communisme, un désenchantement et une critique acerbe qui ne parviennent pourtant jamais à renoncer à l’espoir :


Ils me font rire avec leurs croyances
Ils me font rire avec leurs drapeaux
Leur chemise prête à montrer leur peau
Et leurs cris réunis sous un ciel de faïence

Moi aussi j'ai marché sur la terre
Moi aussi j'ai été du troupeau
Le cœur grand et la rose au chapeau
Moi aussi j'ai chanté : "C'est la faute à Voltaire"

Et puis un jour le désir s'incarne
Le jour vient où l'Histoire enfin ploie
Le jour où l'humilié fait la loi
Montant la liberté comme on monte une carne

Alors vois les damnés de la fange
Changer tout et changer de chanson
Leur ère nouvelle c'est l'ère du soupçon
En procureurs féroces se changent les archanges

Ecoute donc la voix des peuples qui grondent
Regarde ces feux qu'il nous faut attiser
Vois tout autour du monde
Aux poings martyrisés
Ces chaînes qui nous restent à briser

Elle me fait ricaner leur justice
Leur volonté de changer de jeu
Leur absurde chimère de partageux
Et leur poitrine offerte à tous les sacrifices

Viens avec nous tu n'es pas seul camarade
Viens avec nous pour changer demain
Rejoins le bon côté de la barricade
Oublie ton angoisse et donne-nous la main
Ecoute donc la voix des peuples qui grondent
Regarde ces feux qu'il nous faut attiser
Vois tout autour du monde
Aux poings martyrisés
Ces chaînes qui nous restent à briser

Oui, il y a tant de combats au monde
Que personne n'a encore engagés
Tant de pain qui reste à partager
Tant d'appels attendant qu'enfin on leur réponde
Qu'à la fin on a quelque scrupule
A réduire tant d'espoir assemblé
A ne voir que chiendent dans le blé
Et dans tant de héros compter tant de crapules

Vous marchez en soufflant dans vos cuivres
Ignorant les justes qu'on abat
Vous allez à de nouveaux combats
J'aimerais vous croire encore et je voudrais vous suivre

Ausculter le vieux monde et le sentir qui bouge
Retrouver qui je fus autrefois
Cet enfant plein d'amour et de foi
Retrouver avec vous le bonheur d'être rouge !





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"L'orque : une nouvelle forme d'organisation de la société et de l'économie"

"Portrait de l'homme moderne"




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