Patriote. Combien de fois le mot
ne fut-il pas maudit dans les dernières décennies, stigmatisé, rabroué, accusé
de tous les maux, considéré comme cause de toutes les violences, en regard d’un
monde idéal et moderne qui s’en serait débarrassé.
La place que le monde
post-moderne lui a assignée était d’être ad vitam aeternam le troisième pilier
de la devise de Vichy. La cocarde ne pouvait plus être l’insigne des hommes
épris de liberté, en lutte contre l’injustice et l’arbitraire, mais au mieux la
marque de nostalgies surannées et douteuses, au pire le fait de fascistes et
d’esprits étroits.
Une étrange hémiplégie a saisi le
monde moderne. Seul le « patriotisme » des collaborateurs – pourtant
un oxymoron puisqu’il consistait à se coucher devant l’ennemi - fut retenu
comme la seule acception valable, accompagnée parfois d’un repoussoir
supplémentaire : l’agressivité revancharde qui conduisit l’Europe à sa
perte dans le première moitié du XXème siècle. L’erreur, la source de tous les
maux, c’était l’état-nation et l’attachement à celui-ci, même lorsqu’il n’était
qu’amour d’un mode de vie et d’une culture.
Qu’importe qu’un Romain Gary,
héros de la France libre et compagnon de la Libération eût écrit en 1943 dans
« L’éducation européenne » : « … le patriotisme, c’est d’abord
l’amour des siens, le nationalisme, c’est d’abord la haine des autres », sens
repris par le Général de Gaulle en 1951 sous la formule : « Le patriotisme,
c'est aimer son pays. Le nationalisme, c'est détester celui des autres.”
Fut ignorée également la phrase
de Jaurès, teintée de mystère, « Un peu d'internationalisme éloigne de la
patrie ; beaucoup d'internationalisme y ramène. », montrant que les
anathèmes et fausses oppositions pouvaient n’être pas si simples, que le camp
de la haine et de la fermeture n’était pas nécessairement celui désigné par les
adorateurs du paraître.
Nulle part mention non plus du
fait que nos partenaires d’outre-atlantique, présentés comme le modèle d’une
modernité qui devait se défaire des attachements anciens, ne renoncèrent jamais
au sentiment patriotique, renouvelé et réaffirmé à chacun des temps forts de
leur jeune histoire.
Mais il fallait en finir, faire
apparaître coûte que coûte que l’attachement à son pays ne pouvait avoir qu’un
seul sens – le mauvais – que la dualité complexe de l’amour n’existait plus. Il
fallait à tout prix l’aplatir, la réduire, la tronquer, au prix du mensonge. Des
philosophes de cour et de cocktail s’y employèrent, sectateurs de raisonnements
simplistes les mettant eux seuls en valeur, là encore au prix du respect du
réel.