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mardi 29 août 2017

Le langage de l'action


A la mémoire de Paul Watzlawick

Emmanuel Macron aime à se faire passer pour un homme qui a connu le monde de l’entreprise et sa mise à l’épreuve par l’action.

Certaines activités humaines sont cruelles. Notamment, lorsqu’elles requièrent un niveau d’exigence tel que l’on peut juger dès les premières minutes à qui l’on a affaire.

Pour des musiciens chevronnés, celui qui joue dévoile son niveau dès les premières notes. Le mauvais musicien se trahit dans la première minute. Au jeu d’échecs, les quinze premiers coups vous donnent une idée déjà précise de la force de votre adversaire. Le jeu incohérent du débutant se dévoile rapidement.

Il en est de même du monde de l’entreprise. Et plus particulièrement, d’une certaine utilisation du langage par l’entrepreneur, liée à une éthique de l’action.


Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien

Je reviens donc sur les fameux « rien » qui ont tant fait couler d’encre. Encore cette polémique diront certains, qui n’y voient qu’arguties de second ordre. Certains de mes contacts dont j’estime les écrits et la pensée ont considéré que l’on faisait à Macron un mauvais procès, notamment parce que ce n’est pas ce qu’il voulait dire. Et ces contacts estimables de citer l’ensemble de l’allocution, destinée à ce que les créateurs d’entreprise qui ont réussi n’oublient pas qu’ils doivent leur succès à des personnes restées dans l’ombre.

Mais précisément, la question de ce que Macron a voulu dire ou ne pas dire n’est d’aucune importance dans le contexte entrepreneurial. Car dans celui-ci, le langage est d’abord une action visant à motiver les hommes. Dans les termes de la linguistique, l’homme d’action emploie la fonction performative du langage, non une simple transmission d’information et de sens. Qu’importe si Macron avait raison ou tort : en matière d’impact humain et de motivation, il a commis une erreur qu’un chef de rayon débutant dans une grande surface aurait évité, ce parce qu’il ne possède visiblement pas les bases les plus élémentaires du pilotage d’une équipe. Ceci s’est vérifié lorsqu’il a publiquement désavoué sa propre équipe sur la baisse de l’APL.

En se plaçant d’emblée sur des notions de statut social (« être quelqu’un » versus « n’être rien »), Macron montre qu’il méconnaît un aspect primordial du monde de l’entreprise, peut-être ce qu’il y a de meilleur dans celui-ci. L’entrepreneur rejette l’opposition de « l’être » et de « l’avoir », pour leur préférer le « faire ». Un bon chef d’équipe n’a qu’un seul souci : faire que ses hommes donnent le meilleur d’eux-mêmes à l’instant où ils se trouvent et s’accomplissent de cette façon.

Celui qui rejoint une équipe pour accomplir un projet est prié de laisser les questions de statut et de prééminence au vestiaire, comme le combattant qui pénètre dans le dojo se dépouille de son ego. C’est la part éminemment noble de l’entreprenariat : l’homme a la modestie de se réduire à sa fonction, à l’utilité concrète de ce qu’il apporte à l’instant présent, en oubliant tout le reste, notamment son statut social. Même les positions dans l’organigramme deviennent relatives : les anglo-saxons ont souvent le mérite de demander crûment à quoi l’on sert, et de faire remarquer abruptement qu’une fonction n’est pas très utile, fût-elle de direction ou de haut management.

L’ancien patron de General Electric, Jack Welch, visitait un jour une usine et s’adressa à une équipe d’ouvriers en demandant qui était leur chef. Ces derniers répondirent d’un air goguenard que le chef était celui qui avait la meilleure idée, et qu’ils en changeaient assez souvent. Jack Welch se targuait à l’époque de méthodes novatrices en management. Les ouvriers le bâchèrent gentiment en lui disant : « tu te fais vieux Jack, pour poser une telle question. » Nous avions tout de même affaire à des ouvriers de base s’adressant au PDG de l’un des plus grands conglomérats industriels mondiaux. On le voit, les problématiques « d’être quelqu’un » ou « un rien » s’effacent immédiatement derrière le langage de l’action et l’éthique qui en découle.

Le bon chef d’équipe permet à ceux qu’il pilote de mettre entre parenthèse toutes les vanités sociales l’espace d’une courte période, pour s’accomplir dans l’action pure. Il ne faut pas croire qu’il s’agit de propagande hypocrite comme on peut en voir circuler dans les grands groupes : la mise entre parenthèse des rapports sociaux pour retrouver les rapports humains au sein de l’action est réelle.

Quand bien même Macron aurait raison sur le fond, aucun meneur d’homme n’emploierait ce langage, car précisément que l’on ait 20, 30, ou 50 ans, un passé et un statut de succès ou d’échecs, les hommes se réunissent pour donner le meilleur d’eux-mêmes ici et maintenant. 

Le bon directeur de programme créera cet environnement où l’action pure rend à nouveau l’aventure possible quel que soit son passé et son présent, et emploiera le langage correspondant. Il s’agit de mettre les hommes en mouvement, tous les hommes sans exception, pas de leur rappeler un statut qu’ils connaissent très bien.

Quel exemple peut-on donner d’un langage performatif ? En voici un : https://www.youtube.com/watch?v=IIFICRj01Mc

Les hommes que nous voyons dans cette vidéo seraient certainement des « rien » dans le langage de Macron. Ce sont à ces « rien », par une fameuse percée d’Avranches à Bastogne, que nous devons de vivre dans un pays libre aujourd’hui.


La baisse de l’APL et la valeur de l’exemple

Ceux qui me lisent savent que j’apprécie fort peu Mélenchon et ses révolutionnaires de canapé, allant ressasser toutes les vieilles lunes du soviétisme à la française façon Althusser, fleurant bon le camp de rééducation si par malheur ils parvenaient au pouvoir.

Mais je n’ai pas compris pourquoi l’on qualifiait de « démagogique » la démonstration du panier de l’étudiant à 5 euros, alors que je lui reconnais cette fois une factualité bien jouée.

Concernant la baisse de l’APL, la confusion entre le langage de la désignation et le langage de l’action est à nouveau l’erreur commise. La prima donna de la vulgarité dépêchée par LREM pour sermonner les étudiants contestataires n’a rien compris. Il est vrai que l’éthique de l’action dont elle pourrait se targuer s’est traduite chez elle par la malversation et la banqueroute.

Qu’importe que 5 euros représentent peu ou beaucoup : un effort demandé aux plus modestes doit immédiatement être accompagné par un effort exigé des autres : c’est la valeur symbolique, le message de motivation qui compte, non les montants objectifs.

Dans le domaine performatif, le symbole prend une importance considérable. La valeur de l’exemplarité, de l’auto-sacrifice consenti lorsque l’on demande le sacrifice des autres, est bien plus qu’une simple question de comptabilité. Ignorer qu’il est un des plus puissants ressorts de la psychologie humaine c’est faillir sur l’éthique de l’action. Le responsable d’équipe montre l’exemple et s’astreint en premier lieu à ce qu’il demande aux autres s’il s’agit d’un effort difficile, non par simple calcul économique mais pour le principe.

L’on objectera que Macron a également demandé des efforts financiers aux plus aisés. Mais il ne l’a pas fait dans le même temps que l’APL. Dans le langage performatif, la façon dont les choses sont annoncées importe autant, voire plus, que leur contenu objectif. Macron trahit sa totale méconnaissance des ressorts de la motivation humaine, n’ayant jamais vécu d’expérience d’entreprise réelle. Les trois années qu’il a passées à la banque Rothschild ? Il s’agit d’une activité professionnelle un peu particulière qui fait se confronter davantage à des individualités que d’avoir à piloter des équipes. L’entreprise réelle fait se confronter à une palette bien plus ardue de rapports humains.


Absolute Beginners en Pologne

Le récent déplacement du président en Pologne et le ridicule dont il s’est couvert achèvent de montrer son incompétence dans la logique de l’action.

Emmanuel Macron a en l’occurrence raison de A à Z concernant les travailleurs détachés et l’esprit de ce que devait être l’Europe à ses origines.

C’est une chose d’avoir raison, mais une toute autre de savoir l’argumenter et d’en pousser l’avantage.

Le plus modeste des cadres débutants ne vient pas les mains dans les poches en martelant son message, fût-il entièrement justifié et justifiable. Il aura pris soin de tester et sonder en petit comité et en privé ceux à qui il devra délivrer le message : un aparté avec les dirigeants polonais un peu avant ses déclarations était indispensable.

Penser que le message que l’on porte s’imposera de lui-même s’il est vrai relève d’une grande naïveté. Les réalités auxquelles on fait référence sont dynamiques et changent en permanence, charge à celui qui pilote de rendre vrai ce qui était faux auparavant, par l’action.

Macron est venu uniquement avec une requête de ce qui devait être. Il ignore que pour faire passer un message de changement, il faut l’accompagner d’un plan d’action concret et le proposer. S’il souhaite revoir le dispositif actuel des travailleurs détachés - ce qui est louable - il doit proposer dans le même temps un dispositif alternatif très détaillé et précis pour être crédible. Le langage est l’instrument de la dynamique du changement, non la seule désignation de ce qui est ou de ce qui doit être.

Halte là diront certains : proposer une alternative est bien ce qu’a fait Macron. Au-delà de sa harangue au gouvernement polonais sur ce qu’était l’Europe, il a bien proposé quatre points à modifier sur le dispositif des travailleurs détachés :

1. Raccourcir la durée maximale du détachement à 12 mois au lieu de 3 ans.
2. A travail égal rémunération égale, a contrario de la directive Bolkenstein.
3. Renforcer les contrôles contre les fraudes, notamment les sociétés « boîte aux lettres » domiciliées dans des pays de l’est mais dépendantes en réalité d’autres pays.
4. Inclure les transports routiers.


Ces quatre « propositions » ne constituent pas un dispositif, mais un simple approfondissement de ses desiderata. Personne n’avait attendu Macron pour critiquer la directive Bolkenstein, identifiée comme très dangereuse dès sa sortie.

Un véritable dispositif ne s’en tient pas au « quoi » mais rentre dans le détail du « comment ». C’est d’ailleurs une caractéristique du langage de l’action de s’orienter très fortement vers la manière de s’y prendre, plus que sur ce qui est à faire.

Les quatre demandes du président sont légitimes, mais il énonce là des évidences. La valeur ajoutée du discours commence avec leur mise en œuvre : il est évident que pour ces quatre demandes, le principal problème est celui du contrôle et des tentatives de contourner le dispositif.

La demande jupitérienne aurait eu beaucoup plus de force si elle avait approfondi les moyens pratiques d’assurer un tel contrôle et d’éviter les fuites. En se contentant de marteler ce qu’il voulait et en l’accompagnant d’une leçon sur ce qu’est l’Europe, s’auto-intronisant au passage comme une sorte de membre privilégié de celle-ci, Macron a obtenu un impact catastrophique sur des demandes initialement justes.


L’homme supérieur c’est celui qui d’abord met ses paroles en pratique et ensuite parle conformément à ses actions.

Laissons ainsi le dernier mot à maître Kong, qui résume en une seule phrase tout le langage de l’action.



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