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vendredi 18 août 2017

Leçon de droit à l’usage de ceux qui ont soif de justice



Année 2153. Luc esquisse une moue sévère avant de rencontrer M. Augustin. Le jeune étudiant en droit se sent un peu intimidé, face à la somme de connaissances et d’accomplissements qu’il va bientôt rencontrer pour son cours du soir. Mais la civilisation dont Luc est issu apprend à faire de la peur un enthousiasme. Il pousse la porte de l’ancienne bibliothèque en ayant soif de connaissance et de confrontation.


« Bonsoir Luc. J’ai cru comprendre que tu souhaites t’entretenir avec moi de cette période trouble dont j’ai déjà discuté avec ton condisciple Hector, l’historien. Mais cette fois sur ta matière propre : le droit ! Décidemment, votre génération a de curieuses fascinations, car l’époque qui t’intéresse a ceci de particulier qu’elle était parvenue à pervertir toute valeur, au point de se réclamer de celles-ci mais d’agir exactement à l’inverse. »


« Justement M. Augustin, je veux comprendre comment une société parvient à ce degré d’hypocrisie, qui fait sans doute hurler le simple citoyen, mais dont il ne peut sortir, comme d’une camisole de l’esprit. Il est également enrichissant de comprendre les raisons qui ont poussé des dirigeants à agir de façon aussi pervertie, en plaçant en face de chaque valeur sa version dévoyée qui en prend toutes les apparences mais instille l’inverse dans la société. Indépendamment des jugements moraux que l’on peut porter sur une telle entreprise, parvenir à ce que toute notion doive être prise à double sens en la travestissant relève du tour de force ! »


« Oui, c’est la raison pour laquelle je mets systématiquement des guillemets au mot « dirigeants » pour désigner ceux de cette époque. 

Très bien Luc, commençons par le commencement : tu sais j’imagine, ce qu’est l’état de droit ? »



« Oui bien sûr. C’est une notion d’origine allemande, le Rechtsstaat, qui a été codifiée par le juriste autrichien Hans Kelsen au début du XXème siècle. Elle repose sur trois principes : 1. L’ensemble des personnes physiques et morales, y compris l’état, sont assujetties de façon égale à la loi. 2. La justice est une institution indépendante. 3. Les règles juridiques obéissent à une hiérarchie de normes, permettant de fixer les limites de chaque organe de l’état. Par exemple la constitution est au sommet de cette hiérarchie, puis les engagements internationaux, ensuite la loi édictée dans les différents codes civiles et pénaux, enfin les règlements. »


« Parfait. Ces règles sont évidemment indispensables pour éviter l’arbitraire des gouvernants et faire que l’équité soit la première valeur garantie au sein d’une société.

Assez curieusement, les responsables politiques de cette époque ont ajouté un certain nombre d’autres notions, qu’ils considéraient comme des « piliers de l’état de droit ». Elles ne figurent pourtant nulle part dans la définition de Kelsen, et tu vas bientôt voir qu’elles sont rentrées en contradiction avec celle-ci. »


« Mais pourquoi de telles modifications ? »


Monsieur Augustin eut un petit sourire : « Tu vas justement le découvrir en discutant ensemble. Sache pour te mettre sur la piste que la raison véritable est l’un des sentiments humains les plus répandus, peut-être le plus courant. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle notre société de 2153 a tout fait pour apprendre à le reconnaître en soi et à le contrer. »


« Je suis tout ouïe. »


« Figure-toi que parmi ces « piliers », il y avait l’obligation pour les forces de police de n’agir et de faire respecter la loi que lorsqu’un crime avait été commis. Les forces de l’ordre ne pouvaient intervenir qu’une fois qu’il était trop tard, lorsque la victime pouvait justifier de son statut, c’est-à-dire morte ou gravement blessée, physiquement comme moralement.

Même lorsque tout indiquait de façon certaine qu’une activité criminelle était en préparation, il fallait simplement attendre et admettre d’avoir un temps de retard sur tous les criminels de cette société. Ceci était valable aussi bien pour le terrorisme organisé incluant des détentions d’armes et des messages plus qu’explicites, comme pour la petite frappe de quartier faisant régner la terreur par des menaces et des comportements connus de tous.

Il est cocasse que cette règle absurde ait été édictée au nom de l’état de droit, le premier droit élémentaire des victimes, celui de la sécurité physique et morale, étant foulé aux pieds en permanence. Il semble que des interrogations byzantines sur les droits des agresseurs comptaient beaucoup plus pour la justice de cette époque que les conditions élémentaires de vie du paisible citoyen. La justice était organisée pour les 1% de la population qui menaçait réellement la société.»


« Mais pourquoi une telle absurdité ? » reprit Luc. « La première conséquence est évidente : les forces de l’ordre devaient être totalement débordées par la charge. Se placer en position de devoir parer à n’importe quelle possibilité épuise en tâches de surveillance. Je ne mentionne même pas le fait qu’ils se privaient de l’effet dissuasif d’une action directe sur des menaces prouvées d’entreprises criminelles.

Agir directement sur les menaces les plus avancées et les plus graves permet de concentrer l’action sur des mesures concrètes. En somme M. Augustin, cette société dressait avec minutie des constats d’impuissance permanents : ils étaient parfaitement renseignés, mais pour mieux ne rien faire. Pourquoi une telle absurdité ? »


« L’argument - tiens-toi bien - était que l’on ne pouvait juger que sur acte accompli, faute de quoi il s’agirait d’une atteinte à la liberté de conscience. Toute activité préalable à l’action restant au stade des intentions, elle rentre dans le libre arbitre du sujet, et à ce titre ne peut faire l’objet d’une quelconque poursuite. »


« M. Augustin, ce n’est pas gentil de vous moquer de moi. Ils ne peuvent avoir tenu un raisonnement aussi aberrant. Ils ne savaient donc pas faire la différence entre un choix respectueux d’autrui et une menace ? Ils mettaient toutes les intentions sur le même plan ? Le fanatique qui se surarme et prépare les plans de son prochain attentat ou la petite frappe qui intimide tout un quartier en stationnant dans le hall d’un immeuble avec sa bande ne font qu’exercer un libre choix parmi d’autres ? Allons, je ne peux imaginer que la pensée ait été aussi médiocre, même au sein d’une période trouble. 

Vous savez également que j’ai une excellente mémoire. Or le code pénal de cette époque comportait des articles prévus, punissant de peine d’emprisonnement les auteurs de menaces : articles 222-17, 222-18 et R 623-1. Il était donc bien prévu une sanction contre des intentions suffisamment avérées et prouvées d’attenter à autrui, notamment par l’usage de la menace et de l’intimidation. Vos « piliers de l’état de droit » ne pouvaient méconnaître ces textes qui attentaient à leur soi-disant principe. »


« Oui mais tu sais, cette époque ne se caractérisait pas seulement par le dévoiement de toute valeur, mais également par le génie de ne pas appliquer des textes pourtant présents dans le code pénal. La capacité à argumenter de manière sélective, en ne triant que ce qui arrangeait et ne contredisait pas leur croyance dogmatique avait atteint des sommets de perfection. Une virtuosité dans la décadence en quelque sorte.

Et pour ce qui est de la pensée ce n’est pas le sujet : des gens fort intelligents ont tenu ce discours. Mais l’intelligence ne sert à rien, voire accroît la nuisance, si le caractère est perverti.

Les personnes qui ont tenu ce raisonnement vivaient dans un monde abstrait et croyaient perpétuer en cela l’héritage du libéralisme politique. Ils raisonnaient comme si la société était constituée d’individus tous responsables et n’exerçant que des choix personnels, sur lesquels nul n’a évidemment autorité à intervenir : il n’y a pas de gouvernement des consciences.

Le dévoiement de ce principe juste est d’oublier que le territoire du libre arbitre se mérite : il faut d’abord répondre à des exigences de respect mutuel pour parle de choix faits en conscience. La liberté prétendument infinie de cette époque était livrée à tous, sans contreparties ni exigences : elle n’impliquait aucun devoir.

Tu es un jeune homme bien formé Luc, tu connais les conséquences d’une telle mentalité. Ce qui a un faible prix n’a pas de valeur. Et ceci est le meilleur moyen de mettre la liberté par terre, étant incapable de faire face à celui qui prend la liberté de te priver de la tienne.

Cette société était devenue incapable de gérer les conflits et encore moins de perpétuer la difficile réflexion sur la violence légitime et illégitime, garante de l’état de droit, le vrai celui-ci. Tu connais la phrase que j’aime à répéter : si Léonidas et Thémistocle n’avaient pas existé et agi, Socrate et Phidias n’auraient jamais vu le jour.

Face à un conflit, les tenants de cette société préféraient généralement se voiler la face, voire s’en prenaient à la victime en la rendant responsable car suspecte de « provocation ». Les victimes étaient généralement haïes des dirigeants, leur existence même les remettant en face des responsabilités qu’ils n’avaient pas prises. Plus d’une fois lorsque des personnes vivaient un enfer provoqué par des bandes, la seule réponde des forces de l’ordre était de leur conseiller de déménager.»


« Oui, c’est d’autant plus cocasse que la définition de Kelsen parle bien d’une hiérarchie des normes dans le respect de l’état de droit. Et si nos défenseurs du prétendu « état de droit » étaient si férus de pensée allemande, ils auraient dû se souvenir des impératifs catégoriques kantiens, à mettre en bonne place tout en haut de la pyramide.

Je n’aime pas trop la lourdeur toute germanique des impératifs kantiens, surtout pour redire finalement l’injonction « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît », éthique de réciprocité que toutes les religions et sagesses dignes de ce nom ont énoncée. Mais quant à parler d’armature de l’état de droit, celui-ci commence par des devoirs, préalables à l’exercice de toute liberté de conscience. 

Notre société n’autorise pas, pour cette raison, certains discours ou certains comportements, considérés non comme des opinions mais comme des menaces à l’encontre de l’ensemble du pays. Celui qui terrorise un quartier, qui crache sur la France ou qui défend toute forme de terrorisme sait qu’il sera interpellé dans les heures qui viennent et que c’est sa vie même qu’il met en péril. Et nous n’attendrons pas qu’il passe à l’acte : menacer est un crime, cherchant à imposer un rapport de force en lieu et place de l’autorité légitime. Nous ne faisons que réactiver l’esprit des meilleures civilisations antiques : comment peut-on croire que les Grecs et les Romains auraient toléré plus d’une minute des comportements ou des discours menant à la destruction de la Cité ? 

Mais vous me disiez au tout début de notre conversation que l’étrange comportement de la société d’alors découlait d’un sentiment humain très connu. Auquel pensiez-vous M. Augustin ? Je sais que les tenants du prétendu état de droit défendaient leur point de vue avec véhémence : cela ne peut être le seul effet du relativisme moral. On ne se bat pas pour le vide. Quel était le moteur de leur croyance obstinée ?»


« En réalité Luc, il ne s’agissait ni d’une cause, ni d’une conviction, mais d’une émotion. Et ceux qui la ressentaient se défendaient avec d’autant plus de véhémence et de conviction affichée qu’ils craignaient d’admettre qu’elle était bien en eux : la lâcheté.

Toute cette comédie visant à faire croire que c’est l’un des fondamentaux de l’état de droit qui était en jeu n’avait en réalité qu’un seul but, très simple, se masquer à eux-mêmes et masquer aux autres leur immense lâcheté, leur incapacité à se confronter au prédateur.

L’humanisme servit également souvent de paravent, en mettant bien sûr de côté que l’humanisme véritable requiert la sincérité, amenant parfois à se montrer très dur.

Le règne des illusionnistes était accompli : de petits hommes pressés et superficiels venaient à faire croire qu’ils parlaient au nom de traditions juridiques séculaires, tandis que l’authentique héritage restait enfoui dans les cryptes de la mémoire des quelques hommes résistant encore à cette dilution.

Cette mémoire redevint heureusement à nouveau vive dans la société qui est la nôtre, après avoir renversé le précédent régime. Il n’y a pas de liberté qui tienne sans les devoirs de responsabilité vis-à-vis d’autrui, ce qui implique d’éliminer sans faiblesse ceux qui sapent tous les principes de l’éthique de réciprocité, pierre angulaire du respect et de la dignité de chaque citoyen. »


« Je vous remercie M. Augustin. Ce n’est pas seulement une leçon de droit, mais un chapitre de la comédie humaine que vous m’avez exposé là. Les faux principes cachent toujours les vraies désertions.


Ce texte fait suite au dialogue de M. Augustin et d’Hector, en passant du domaine de l’histoire à celui du droit :




1 commentaire:

  1. Grand amateur de science fiction, je suis jaloux de ne pas avoir écrit cette page.
    Merci Marc.
    Il va falloir penser à passer à une "communication" un peu plus systémique
    Amitié
    Francis claude NERI

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